dimanche 5 mars 2017

Les quatre-vingts travaux d'Agsal

Lorsqu'ils sont débordés par un ensemble d'obligations familiales, professionnelles, là où nous dirions avec une modestie et une élégance toute française "j'ai dix mille trucs à faire", les Mongols utilisent la jolie expression: "j'ai quatre-vingts travaux" (nayan ajiltai). Hercule avec ses douze travaux fait piètre figure!

Quatre-vingts est en effet, en mongol, le chiffre de l'hyperbole, de l'exagération épique. Je m'en suis rendu compte pour la première fois en essayant de traduire ces vers du chant d'Agsal, qui accompagne une très belle danse héroïque de l'ethnie des Torguud.

Agsal (son) cheval isabelle
Son corps (mesure) quatre-vingts coudées.

Quatre-vingts coudées, soit trente-six mètres (à peu près)! Si ce n'est pas une hyperbole, c'est que les chevaux mongols étaient vraiment très très très grands dans le temps épique d'autrefois!


Une statue d'Agsal et de son cheval isabelle, à Hovd ©R. Blanchier


Mais justement, les paroles décrivent-elles ici le héros ou son cheval? Le chant entremêle la louange du guerrier et celle du cheval de façon si inextricable qu'on ne sait pas vraiment, en fait, si Agsal, l'archer invincible, est un géant ou s'il s'agit de sa monture à l'allure "superbe". Il y a des théories qui disent qu'Agsal n'est pas le nom d'un héros, mais une corruption de l'adjectif agsam (altier, superbe - mais c'est une qualité en mongol!). Cependant, ces théories ne s'accordent pas non plus pour savoir si cet adjectif désigne le héros ou sa monture. On aura beau faire, le héros et son cheval sont indissociables.


C'est d'ailleurs ce caractère indissociable du cavalier et du cheval qu'on retrouve dans les danses Joroo, les danses du cheval ambleur. En effet, on parle fréquemment de l'imitation de l'allure du cheval comme d'une caractéristique du bii biêlgee. Mais quand on regarde ces danses en détail, on s'aperçoit qu'elles mêlent imitation des gestes du cavalier (les épaules ballotées, la main qui retient les rênes, la main en visière pour voir au loin, dans la steppe) et secousse du corps et battue des membres du cheval. Les "danses du cheval" sont donc plutôt des danses du centaure "cavalier+cheval", tout comme notre héros-cheval Agsal.


Gangaa, danse le bii biêlgee torguud d'Agsal (archives nationales, 1984, copie autorisée)



Il y aurait tant et tant de choses à dire sur Agsal, son arc, son chant, sa danse, son cheval et sur les hypothèses (parfois fantaisistes) auxquelles il a donné lieu. Mais en ce moment, "nayan ajiltai", "j'ai quatre-vingts travaux". Ce sera donc pour une prochaine fois!